MC Solaar : les 30 ans de "Qui sème le vent récolte le Tempo"

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MC Solaar : les 30 ans de "Qui sème le vent récolte le Tempo"

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MC Solaar - session photo Montpellier (Eric CATARINA)
MC Solaar - session photo Montpellier (Eric CATARINA)
© Getty

Le premier album de MC Solaar aura trente ans dans quelques jours. Retour sur un disque majeur, et son histoire chaotique.

Un album disparu pendant deux décennies

C’est une histoire un peu bête, qui aura privé les auditeurs de rap français de la majorité de la discographie de MC Solaar pendant deux décennies. En 1997 et 1998, la maison de disques Polydor (qui fait aujourd’hui partie d’Universal) publie deux albums respectivement intitulés Paradisiaque puis MC Solaar. Problème : ces deux disques ont été écrits et produits comme une seule entité, un double-album, qui se retrouve donc séparé en deux sans l’accord de l’artiste. S’en suit un procès, remporté par le rappeur, même si personne ne sort vraiment gagnant d’une telle affaire : Polydor n’a plus l’autorisation d’exploiter les disques de Solaar. 

Ce sont donc au total quatre albums qui ne sont plus commercialisés : _Qui sème le vent récolte le tempo (_1991) ; Prose Combat (1994) et donc Paradisiaque (1997) et MC Solaar (1998). Le rappeur continue de publier des projets en signant chez Warner, mais pour les auditeurs, plus moyen de mettre la main, dans le commerce, sur toute une partie de sa discographie. Il faut relativiser la situation : les exemplaires de chacun de ces disques se sont écoulés par centaines de milliers (un peu moins d’un million pour Prose Combat), et la démocratisation d’internet permet rapidement à n’importe quel auditeur de retrouver l’album d’une manière ou d’une autre -marché de l’occasion, téléchargement illégal, album uploadé sur Youtube, etc. 

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Avec l’arrivée du streaming, les quatre premiers albums de Solaar font partie de ces grands manquants des catalogues des plateformes, aux côtés des Princes de la Ville (113), du Code de l’Honneur (Rohff) ou de la majorité de la discographie d’Expression Direkt -à ce sujet, voir ce dossier publié par l’Abcdrduson en 2019. Ce n’est qu’en 2021 qu’une partie de ces disques oubliés redevient disponible. C’est le cas de Qui sème le vent récolte le Tempo, réédité cet été. Le tout premier album de MC Solaar fêtera d’ailleurs dans quelques jours ses trente ans. 

Adopté par le grand public, marginalisé par le milieu du rap

Très peu d’albums de rap français peuvent d’ailleurs se vanter d’afficher trois décennies au compteur. L’année 1991, fondatrice pour le rap français, voit tout de même la publication de quelques disques majeurs dans l’histoire du genre (Authentik, De la Planète Mars), et les grands débuts de groupes importants pour la suite (Ministère Amer, Assassin). Avec son style déjà très caractéristique, Solaar s’illustre déjà comme l’une des meilleures plumes du plateau. Très littéraire dans son approche, il multiplie déjà les schémas de rimes complexes (les allitérations à rallonge sur L’Histoire de l’Art), emploie régulièrement des métaphores, traite de thématiques larges. On le qualifie donc rapidement de “poète moderne”, une appellation qui va lui coller à la peau pendant toute sa carrière. 

Au début des années 90, la position de Solaar sur la scène naissante du rap français est déjà marginale. Le rappeur cartonne alors avec Bouge de là, l’un des premiers singles du genre à exploser les compteurs et à être diffusé en télévision. Il signe par la même occasion le premier titre de rap entendu par la majorité des français à l’époque. Il est donc adopté par le grand public, mais aussi par la critique intello-musicale, qui s’extasie face à son écriture sophistiquée et novatrice. Fatalement, le milieu du rap, plutôt radical dans sa vision de l’industrie du disque, des médias traditionnels, et de la musique française, le catégorise comme un artiste de variété. 

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Preuve que personne ne sait vraiment où le classer, il remporte avec cet album la Victoire de la Musique 1992 … du meilleur groupe. Évidemment, la récompense n’a aucun sens et préfigure des relations compliquées entre le rap et la cérémonie des Victoires pendant les trente années à venir, mais on peut toujours se consoler en se disant que la récompense est attribuée au duo Solaar - Jimmy Jay, le producteur localisé à l’époque à Bagnolet étant le grand architecte musical de Qui sème le vent récolte le tempo

Le style Solaar : littéraire et poétique

La rupture avec le reste du milieu rap n’est pas encore franche en 1991 au moment de la sortie de Qui sème le vent récolte le tempo, le genre étant encore trop peu répandu auprès des auditeurs. Cet album cristallise pourtant tout ce qui fait de Solaar un artiste en opposition avec une certaine image de la culture hip-hop, alors véhiculée par des groupes plus provocateurs comme le Suprême NTM. Solaar joue énormément avec les mots, revendique ses influences littéraires, son amour de la langue française, des exercices de style, des métaphoriques filées. Il parle d’amour (Caroline), livre des storytellings distrayants (Bouge de là), et enchaine les égotrips (Qui sème le vent récolte le tempo, Quartier Nord, À Temps Partiel). 

Malgré cette image de rappeur aux thématiques légères, il se plonge dans des sujets de société qui ne seront que très peu abordés par les autres rappeurs après lui : la pression des modèles physiques féminins vendus par la publicité (Victime de la mode) ; la descente aux enfers d’un type banal suite à un accident du travail (_Armand est mor_t) ; les dangers du capitalisme entraînant guerres, pollution et inégalités (La Devise) ; etc. Déjà, en 1991, MC Solaar met un point d’honneur à construire un album avec du fond, à développer des histoires, avec un important niveau d’exigence. 

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En 2021, l’écoute de Qui sème le vent récolte le tempo provoque des réactions ambivalentes. Le retour en force du boom-bap ces deux dernières années permet à Qui sème le vent récolte le tempo d’être toujours dans les temps : sur le plan des sonorités, il est difficile de dire que l’album a mal vieilli, en particulier si on le compare à d’autres productions de l’année 1991. Sur le plan instrumental, le travail de Jimmy Jay est remarquable. A l’époque, la maison de disques lui donne les moyens de ses ambitions, en lui offrant l’accès à des studios dans lesquels les rappeurs ne sont pas encore conviés, et surtout, en acceptant ses demandes. Il travaille alors avec des violonistes de l’Opéra Bastille (sur le titre Caroline) et s’offre du matériel prestigieux, comme le synthétiseur Leslie Rhodes, celui utilisé par les Beatles pour la première fois en 1967.

Le style parfois nonchalant de Solaar rend par ailleurs son interprétation suffisamment en phase avec l’époque actuelle, là où d’autres albums plus nerveux, avec des rappeurs qui donnent l’impression de courir après le beat, ont clairement perdu de leur superbe. Reste à savoir si MC Solaar et Jimmy Jay étaient de véritables visionnaires, ou s’ils ont simplement su créer malgré eux un disque intemporel, capable de résister aux évolutions du rap au cours des décennies suivantes. Signe que le duo avait tout de même un œil avisé, Qui sème le vent récolte le tempo constitue la toute première apparition de Kery James, alors appelé Daddy Kery, âgé de seulement 13 ans. 

Trente ans après sa sortie, le premier album d’MC Solaar reste un album important, qu’on le connaisse par cœur, qu’on le redécouvre par le biais de sa publication sur les plateformes de streaming, ou qu’on l’écoute pour la première fois.